jeudi 28 juin 2007

« Static Journey » pour les âmes solaires ?

Bon... je sens que cette chronique va m'être pénible. Car j'aurais souhaité écrire autre chose au sujet de Solar Soul, septième album de Samael sans compter ces excellents minis que sont Rebellion et Exodus. Non pas que cet album soit mauvais : il est, dans l'absolu, bon. Mais quelle déception personnelle... Après Reign of Light, énième réincarnation réussie de cet étrange Ouroboros qui ne se mord en principe jamais la queue, j'avais senti venir l'embrouille : le chapitre ouvert avec brio par Passage venait ainsi d'être magistralement clos. Après la trilogie noire (Worship Him, Blood Ritual, Ceremony of Opposites), après un triptyque plus lumineux en apparence (Passage, EternalReign of Light), il fallait ouvrir un autre cycle. Où ? Comment ? Quelles nouvelles directions explorer, après avoir défriché, en vingt ans de carrière, tant le nord et le sud que l'est et l'ouest ? C'est là que le bât blesse : la réinvention n'a pas eu lieu et pour la première fois, enfer et damnation, Samael a succombé à la redite. D'où ma syncope initiale et mon amertume comparable à celle d'un amoureux non pas trahi - Samael ne m'a jamais rien promis -, mais sincèrement déçu.

Samael s'est toujours lu au travers des noms de ses chapitres les plus marquants : après la jeunesse black metal frappée du sceau des pères fondateurs, Ceremony of Opposites annonçait, sans peut-être même en avoir conscience, que le groupe se proposait d'unir dorénavant ses racines sombres et métalliques avec une expérimentation toute suisse, à peine esquissée sur l'album précédent. Puis le mini Rebellion, porté par son nom aux allures de cri de révolte face aux dogmes metal, entérina le caractère unique de Samael, bête désormais organico-synthétique refusant de se voir plus longtemps enfermée dans un underground trop étriqué pour elle. Inutile de commenter longuement le nom du disque suivant : Passage parle de lui-même et parachève la métamorphose du rouge au bleu, tout en renforçant cette impression de mouvement permanent et vital que chante Vorph (cf Jupiterian Vibe). Reign of Light retentit lui aussi comme une bannière, la découverte d'une terre promise longtemps recherchée, l'avènement final d'un groupe passé de l'ombre à la lumière (bien qu'avec du recul, et malgré l'extrême noirceur de Ceremony Of Opposites, je pense qu'Eternal et Reign of Light sont, de façon plus cryptique, les disques les plus sombres de Samael). Arrive aujourd'hui Solar Soul, et nous voilà au cœur du problème. Samael, toujours en mouvement, a cette fois-ci marché en ligne droite autour de son petit monde au point d'en revenir à son départ - révolution qui n'en est pas une - et c'est un choc, de la part de ces précurseurs toujours sur la brèche créative et artistique.

Pas de surprise. Plus de surprises. La rumeur annonçait des guitares déterrées du mix, et c'est vrai qu'elles sont moins en retrait que sur Reign of Light. Mais ce dernier était un chef-d'œuvre, nouvelle étape qui n'avait pas besoin de grosse saturation pour impressionner. On parlait même de l'impensable : une saveur cérémoniale, plus entendue depuis 1994 donc, participerait au goût forcément exquis de Solar Soul. Las ! Reconnaissons tout de même le clin d'œil de Slavocracy (son riff exhumé de Crown, accéléré). J'irai même jusqu'à dire qu'AVE ! ou Alliance, écrasants de majesté altière et parsemés de râles traînants et plombés, pourraient être un Ceremony (la chanson) version 2007. Mais pour le reste, Solar Soul lorgne beaucoup trop sur Passage et son successeur... et c'est décevant. Les mêmes structures passagères et éternelles reviennent continuellement : intro martiale, puissante et percussive, puis licks de guitares chargés de donner son identité à chaque morceau, suivis du sempiternel refrain martelé par l’impeccable scansion virile de Vorph... Les claviers sont loin d'être mauvais, mais l'on souffre de toujours entendre ces mêmes sonorités, reconnaître ces mêmes placements recherchant toujours les mêmes effets... C'est une recette que Samael a porté à son paroxysme en 1996, mais dont le groupe use et abuse désormais au point d'en faire un schéma rebattu. En un mot comme en cent, Solar Soul est trop unidimensionnel (une infamie dans le vocabulaire samaelien), prévisible, convenu. Le vieux fan que je suis (depuis Ceremony of Opposites) l'est justement resté parce que Samael l'a habitué à une redécouverte passionnée à chaque album, ce qui est loin d'être le cas ici. Quel contraste après un très aventureux et réussi Reign of Light qui rompait avec tout ceci ! Plus atmosphérique, enfin décomplexé par rapport à ses ambitions « dansantes », plus grand « scope » tout en restant puissant - là où Eternal avait peut-être failli, délayant sa force dans un mix trop diffus -, Reign... était un délice raffiné, réinventé, nouveau départ malheureusement démenti en 2007 par Solar Soul, ce décevant bon album.

Car oui, c'est un bon disque ! Il contient d'excellentes chansons, dont l'honorable bonus track de la version digipack... mais encore une fois, ça n'est pas suffisant. Dommage, d'autant que Solar Soul est marqué par le retour d'une véritable batterie : ça sonne à mort, et même si la froideur d'un Passage ou le côté galactique d'un Eternal doivent pas mal à la boite à rythmes, il faut avouer que ce regain organique apporte beaucoup à Samael qui commençait à pécher de ce côté-là. Un petit mot sur les paroles : véritable apôtre du self improvement, Vorph a ciselé à nouveau des textes collant à merveille au positivisme barjavélien qui caractérise Samael depuis Passage. Pas besoin d'acheter un bouquin de développement personnel ! Promised Land est à Solar Soul ce que Shining Kingdom est à Passage, et tout le reste est à l'avenant. Je remarque cependant que Solar Soul est moins galvanisant que ses prédécesseurs : pas de trucs aussi trippants qu'un « See how bright, bright you can shine » ici, ni de conseils de jardinage aussi transcendants que ceux préconisés dans Rain. Samael confirme également son statut de citoyen du monde (se souvenir de On Earth) et s'autorise même une allusion directe aux guerres actuelles dans Valkyries' New Ride : on avait rarement connu le groupe aussi terre-à-terre. On The Rise, quant à lui, est un beau texte qui parait, au premier degré, comparable aux thèmes habituels de Samael, mais je l'ai vu à tort ou à raison comme une parabole du chemin parcouru depuis l'époque Into the Infernal Storm of Evil. Soit quelques années-lumière !

Étonnez-vous qu'après une carrière marquée par un Ceremony of Opposites, un Passage ou un Reign of Light on devienne exigeant ! Qui aime bien châtie bien, et je reste inconditionnel de Samael. Un groupe que j'aime et que je continuerai à suivre au plus près en espérant, la prochaine fois, un produit moins tiède : on n'est jamais bien le cul entre deux chaises. Solar Soul est un bon album-somme, mais trébuche franchement en tant que successeur de Reign of Light.

Fuck, I’m devastated. You know what ? Solar Soul is a good album. But a good album is not enough in a Samaelian context. I saw it coming, I swear it. I mean, how could Samael maintain ad vitam aeternam such a high-quality level as featured in Ceremony of Opposites (one of my all-time classics), Passage, Eternal (despite its way-too-“large” sound) and Reign of Light ? In a predictable way, Solar Soul fuses electro with martial, cold, declamatory metal but the surprise factor is long gone and that’s a shame. Ok, there’re more guitars in there than in Reign of Light, and I‘ll even go as far as saying that Solar Soul nods clearly, at times, to the oldschool Samael of yore. Problem is that Samael can’t stand the “been here, done that” thing – it just didn’t feel right, it just didn’t fit them. Samael is a march, Samael is an endeavour, Samael is a matter of going forwards and not backwards. So Solar Soul is a harsh disappointment in terms of creativeness ! A somewhat good album, hiding truly good moments (Slavocracy, Promised Land…), but unworthy of the Samael usual seal of quality.

Solar Soul (Nuclear Blast, 2007)

01 Solar Soul
02 Promised Land
03 Slavocracy
04 Western Ground
05 On The Rise
06 Alliance
07 Suspended Time
08 Valkyries' New Ride
09 Ave !
10 Quasar Waves
11 Architect (bonus track)
12 Olympus

Le Myspace de Samael.

...et toujours :

Scream for me John Lennon !

Le mouvement perpétuel

mardi 19 juin 2007

Un bon petit diable

J'ai toujours aimé les seconds couteaux du metal, et Annihilator est le second coutal par excellence : le projet solo de Jeff Waters n'a jamais accédé au statut supérieur malgré sa qualité constante (à part une vraie baisse de forme entre 1996 et 1999), et il est clairement trop tard pour renverser la vapeur... C'est injuste mais c'est comme ça : alors qu'un Enemies of Reality aura permis à Nevermore d'exploser son carcan pour monter au premier plan, cas d'école de l'album providentiel pour booster une carrière, le nom d'Annihilator n'a jamais été assez vendeur pour les grosses couvertures médiatiques. Pas de masques, pas de maquillage, quelques polémiques ridicules agitées par de tristes ronds-de-cuir qui n'ont jamais compris que ce groupe n'en était pas un... Bref, malgré son très gros succès d'estime (demandez donc à Mustaine ce qu'il pense de cet album), Alice In Hell demeure un essai qui ne sera jamais transformé sur le terrain commercial. Ainsi va la vie, et Annihilator / Jeff Waters semble s'accommoder parfaitement de tout ceci. En témoigne sa position sur l'actuelle tournée de Trivium : ça fait mal au cœur, pour ne pas dire au culte, de voir ce génie ouvrir pour un groupe trendy qui n'a jamais apporté, n'apporte pas et n'apportera rien de significatif au metal. Bon, ok, exposition plus importante, découverte pour le jeune public, bla-bla-bla, je sais tout ça... Revenons au sujet : en 2001, il s'est passé trois choses importantes dans le monde. Une tour est tombée. Une autre tour l'a suivie. Et un peu plus au nord, Annihilator a sorti en catimini Carnival Diablos.

Ce huitième album occupe une place à part dans la disco de Jeff Waters : c'est un peu l'album de la résurrection, son Razor's Edge, son Painkiller ou son Get A Grip, après une traversée du désert peu inspirée et marquée par trois albums réalisés en apnée. À un moment où toute la scène se focalisait sur ses extrêmes, un combo thrash sans prétention et au potentiel vendeur déjà épuisé n'avait aucun espoir d'attirer (à nouveau) l'attention. A fortiori dans un paysage musical atteint de jeunisme forcené, où l'on se foutait comme d'une guigne de l'énième album d'un trentenaire canadien. Et pourtant... Waters, fraîchement épaulé par l'un des guitaristes d'Overkill (ici au micro), a fait le bon choix avec Joe Comeau : sous les dehors bonhommes du rondouillard new-yorkais se cachait un frontman et un hurleur de premier plan... Heavy-thrash hyper puissant, caractérisé comme toujours par l'extrême « crunchitude » des guitares (j'appelle ça le syndrome Flemming Rassmussen : chaque coup de médiator étouffé descend directement à la cave), Carnival Diablos est l'un de ces albums bons du début à la fin. Même au moment de Liquid Oval, qui commence pourtant comme une de ces pénibles ballades heavy metal dont les amerloques ont le secret, mais qui a le bon goût de ne rester qu'un correct instrumental. Quant au reste, carton plein, KO assuré, hold-up sur l'auditeur matraqué par la rifferie stylée, puissante et sans pitié de Jeff... Une bombe. Les anglo-saxons ont un mot intraduisible, pour ce genre de truc : powerhouse. À noter, cet hommage non déguisé à AC/DC où Joe « Bon Scott » Comeau et Jeff « Angus » Waters cassent la baraque au point que Shallow Grave, malgré sa relative jeunesse, s'est hissé instantanément au rang de classique. À souligner également, le plaisir que l'on prend à goûter, derrière une brutalité de façade mais non feinte (BatteredHunter Killer...), l'extrême mélodicité d'Annia. Comme toujours, quoi.

Et de fait, si les deux mamelles de la France selon Sully étaient « labourage et pâturage », celles auxquelles le petit Jeffrey a été sevré sont Maiden et Priest. Le trooper d'Annihilator pourrait aisément s'appeler Epic Of War, tandis que l'excessivement pesant et réussi Time Bomb convoque expressément l'esprit du Prêtre, tendance Metal Gods ou A Touch of Evil. Pour conclure ce petit hommage à un album indispensable à tout amateur ne connaissant pas encore Annihilator, voire ne connaissant que les derniers avec Padden (qui peut braquer par ses tonalités hardcore), je serai bref : Carnival Diablos est une putain de tuerie. Qui crucifie sur place une bonne partie de la jeune garde, si douée soit-elle (des fois). Trivium en sait quelque chose, car si les américains sont excellents sur scène, il semble qu'Annihilator leur fasse la leçon au moins un soir sur deux - en sonnant, au passage, beaucoup plus moderne. Qu'on se le dise !

Despite its blistering first two technical thrash metal attacks (namely Alice In Hell and Never, Neverland), Annihilator has been an underdog for the last two decades. And that’s a fuckin’ shame, an utter disgrace. I just can’t believe Jeff Waters and his capable commando are currently opening (fuck me) for fuckin’ Trivium. Ok, now I’d like you to buy 10 copies of Carnival Diablos, and here’s why you’ll gladly do it after reading Master Me. To begin with, Carnival Diablos is Annihilator’s own Painkiller : a sonic resurrection of an unexpected quality after years under the radar, meaning a vicious heavy-thrash metal attack of unrelenting, melodic violence. Secondly, Carnival Diablos is sung – or screamed – by Joe Fuckin’ Comeau, of the mighty Overkill fame. Joe will pierce your eardrum to crush your very worthless soul (and maybe he will eat you up after that). And in the third place, Carnival Diablos’ artwork is over the top – perfectly matching its overpowering content. What a fuckin’ powerhouse of an album… Still wondering why 10 copies ? Man, after having read that, you know you'll never get enough of Carnival Diablos.

Carnival Diablos (SPV, 2001)

01 Denied
02 The Perfect Virus
03 Battered
04 Carnival Diablos
05 Shallow Grave
06 Time Bomb
07 The Rush
08 Insomniac
09 Liquid Oval
10 Epic Of War
11 Hunter Killer

Le site (Waters est un membre très actif du forum et l'on est sûr d'obtenir une réponse, voire un vrai dialogue de sa part, autant dire que ça change et que ça fait plaisir) et le Myspace d'Annihilator.

...et toujours :
Ne lâche pas ta poupée, Alice !

vendredi 15 juin 2007

Are You Morbid ? Into the Pandemonium of Celtic Frost

Enfin lue, cette bio du Frost écrite par Fischer himself (on n'est jamais si bien servi que par soi-même, mais nous y reviendrons) ! Avis aux fans : malgré un impensable melon par moments, ce bon vieux Tom n'y va pas par quatre chemins et commence par démolir, sur une cinquantaine de pages, le mythe Hellhammer. Il est ainsi assez drôle de lire ces lignes pleines de recul sur ce groupe de gamins formé par le vilain petit canard de l'école, qui allait devenir vingt ans plus tard, et malgré deux petites années de vie, l'une des références absolues de la scène extrême - au moins européenne et sud-américaine. Bref, selon les propres termes de Fischer (et l'on pensera immanquablement à Quorthon qui jugeait tout aussi sévèrement les premiers Bathory), Hellhammer n'était qu'un petit groupe merdique tellement étriqué dans ses aspirations et limité dans ses possibilités que lui et Ain eurent tôt fait de le dissoudre - pour le ressusciter sous le nom de Celtic Frost la nuit suivante. Un combo appelé à ne respecter aucun des standards de l'époque, ni dans le fond, ni dans la forme, et dont on regrettera que le choix du superbe patronyme ne soit pas plus explicité.

L'histoire du Frost, racontée avec humour et style (cf la jolie description d'un morne Berlin-Est, traversé nuitamment pour se rendre en studio), se taille donc la part du lion comme l'indique le sous-titre du livre. Très vite, le lecteur éberlué comprend à quel point ce groupe a été massacré, tué, gâché par l'incompétence à peine croyable d'une maison de disques (Noise Records) pourtant révérée par bien des metalheads - et en premier lieu par votre serviteur... Entre les tournées fauchées interrompues subito presto, le refus de financer le clip qui aurait pu changer le cours des choses pour nos frustrés frosties (Mexican Radio), la totale incompréhension de ce que tentait de faire le groupe au moment de l'enregistrement de Into The Pandemonium, j'en passe et des meilleures, on n'en revient tout simplement pas. Celtic Frost, pendant près de vingt ans, n'aura été qu'un saumon exténué - passez-moi l'image, mais quand on s'appelle Fis(c)her - qui s'est épuisé à nager à contre-courant. En aval, notre petit poisson qui deviendra gros malgré tout ; en amont, l'ahurissante politique menée par Noise. On n'ose imaginer, à la lecture de l'excellent chapitre consacré à l'élaboration de Into The Pandemonium, ce qu'aurait été cet album sans ce frein constant... Avec cette connaissance nouvelle, je m'explique enfin, par exemple, ce son que j'ai toujours haï, et je sais désormais que le Frost ne l'aime pas plus que moi. Bien sûr ce disque reste un monument, mais enfin, après ce passage modestement intitulé The making of a breakthrough album, on a vraiment l'impression de ne connaître que l'ombre de ce qui aurait du être (*). Et pourtant, c'est bien ce feeling art-rock et aventurier, méprisé par Noise Records, qui aura constamment tiré Celtic Frost vers le haut - ou comment concilier l'intellectualisme le plus littéraire avec le cri primal du metal dit « extrême ».

Malgré sa grosse tête (difficile de ne pas être amusé / agacé par la mégalomanie de Tom, cependant que l'on ne peut que lui reconnaître un véritable génie avant-gardiste), l'auteur accroche son public et excelle dans la galerie de portraits qui gravite autour du Frost : les obsédés sexuels de Coroner (le crew du Frost en tournée), les ingénieurs du son tchécoslovaques plus « stupid » que « morbid », les groupies prêtes à tout pour cinq minutes en compagnie du beau gosse Reed St. Mark, les chanteuses de session nymphomanes prêtes à tout pour cinq minutes en compagnie du beau gosse Reed St. Mark (si vous avez une impression de répétition, c'est normal), etc. Sur ce point essentiel au cahier des charges de toute bio rock qui se respecte, l'objectif est largement atteint et l'on passe franchement un bon moment. Plus intéressant est le regard sans concession, souvent mi-figue mi-raisin, que pose Tom sur sa petite troupe : on rit fréquemment aux passages consacrés à St. Mark, jovial M. Catastrophe qui aura apporté au Frost autant de peps que d'emmerdes, on est particulièrement intrigué par le personnage érudit et tourmenté de Martin Eric Ain, et on se dit que les pauvres Ron Marks et Curt Victor Bryant sont un peu injustement oubliés aujourd'hui. Tom G. Fischer, en bon Warrior qu'il est, sait aussi se montrer intransigeant envers lui-même lorsqu'il le faut. A ce titre, les pages consacrées à Cold Lake (« une merde monumentale ») sont particulièrement masochistes. Putain, mais comment le Frost a-t-il cru pouvoir vendre un seul instant à ses fans un album presque glam ? Le voile est levé sur cette affaire que Fischer n'a pas cherché à escamoter - et pourtant, que ce disque est embarrassant...

L'odyssée de Celtic Frost, gros poisson dans un petit étang - soyons réalistes - est ainsi racontée sans fard et nous laisse à entrevoir les dessous d'une histoire qui perd en « culte » ce qu'elle reprend à la vérité... J'aurai du mal désormais à me représenter le Frost comme avant, tant Fischer balaie cette poussière cryptique et cette aura obscure au profit d'une réalité beaucoup plus terre-à-terre - saviez vous que Martin Eric Ain ne pouvait quitter une ville après un concert sans avoir goûté au kebab local, jusqu'au jour où cette pénible manie lui valut d'être abandonné sur un parking par le tour bus ? Ces petites histoires qui font la grande n'enlèvent rien aux hommes derrière le monstre, et si l'on ne peut que fantasmer sur l'avorté Under Apollyon's Sun (cet album était un potentiel monument, cf Idols of Chagrin et Under Apollyon's Sun disponibles sur la compilation testamentaire Parched With Thirst I Am... And Dying), je me dis cependant que si ce sont toutes ces couleuvres avalées, tous ces changements dramatiques de line-up, toutes ces galères de vingt ans qui sont ressorties dans cette catharsis vénéneuse qu'est Monotheist, eh bien oui, tout ceci en valait la peine. Le pot de terre contre le pot de fer ? C'est toute l'histoire du Frost. Laer Si Htaed Ylno !

(*) Tristesses de la Lune, lecture passionnée et habitée du poème de Baudelaire, sera ainsi jugée trop « spéciale » et retirée abusivement de l'album original... Il faudra attendre sa récente réédition pour voir enfin inclus dans le tracklisting ce morceau de bravoure... Pour info, la performance sur ce morceau est signée Manü Moan, par ailleurs chanteuse des étranges Vyllies.

Come on, there’s not only metal music in life. There’s also metal literature. Just finished reading Are You Morbid ?, the undying beast’s bio written by Tom G. Warrior. After destroying the mythic Hellhammer (a not-so-surprising move – the man have tried to stray from its legacy for many years), things become serious with the Frost’s birth. I have to say that despite his sometimes heavy and inflated style, and an ounce of megalomania (but hey, fuck it, the man is a total artist after all), Tom’s account of these events are witty, interesting and as dark and depressive as they can be funny if not hilarious at times. You will know everything ; from Noise’s incredibly stupid way of "handling" things to Reed St. Mark’s fetishist antics (you have to see that picture with all these high heels hanged all over his drum set !). Maybe the most interesting parts of it are the chapters dealing with Into The Pandemonium, an overbloated but visionary record those inception crystallised many of the Frost’s underlying issues. I have to warn you though : reading this will sweep forever some of that cryptic dust covering this monumental beast that is Celtic Frost – learning its secrets is losing some of its mysteries…

Le site et le Myspace de Celtic Frost.
Le site et le Myspace de Hellhammer.
Le Myspace des Vyllies, parce qu'elles le valent bien !Le blog de Tom G. Fischer.


...et toujours :
« Toi qui entre ici, abandonne toute espérance... »

mardi 5 juin 2007

C.Y.F.A.W.S...

...le S étant pour Shining, cette fois. Enfin, uniquement si vous aimez les évolutions musicales et stylistiques. En principe, j'aime pas : mes œillères sont XXL, j'ai pas trouvé plus grand à l'époque où je les ai achetées. Mais tout change et je suis tout de même moins allergique qu'auparavant à ce discours lénifiant qui, s'il fait parfois passer des vessies pour des lanternes, cache quelquefois de surprenantes mutations. Et dans le cas présent, c'est réussi.

Semées précautionneusement dans le très bon IV - The Eerie Cold, les raisons (sic) de la colère ont depuis germées pour transfigurer son successeur, V - Halmstad. Ok, il s'agit toujours de black metal déprimé, mais le moins que l'on puisse dire est que ça rocke sévère, chez Shining, en 2007. Si le feeling katatonien et burzumesque est toujours là, et si Shining reste ce qu'il est thématiquement parlant (une auto-introspection douloureuse et destructrice de Niklas Kvarforth, certainement moins dérangé que vous [surtout] et moi mais passé maître dans l'art de faire parler de lui), nous sommes désormais loin de la transe quasi-hypnotique du choc qu'était III - Angst. Ca riffe, ça groove à mort - les bassistes vont se régaler et c'est tout de même assez exceptionnel de dire cela d'un album de black metal -, ça part dans des digressions tantôt jazzy tantôt bluesy, bref, autant vous dire que les habituels forumeurs intégristes (ceux qui avaient huit ans à la sortie de I - Into Deep Dark Chambers) sont très, très énervés par cette haute trahison.

Quant à moi, loin d'être agacé, j'écoute V - Halmstad (le nom du bled d'où Kvarforth est originaire, autant vous dire que pour ceux qui sont nés dans le Cantal ou le Limousin y'a des coins où ça le ferait pas du tout, imaginez un peu V - Couillères), et je me dis que c'est de la belle ouvrage, rehaussée d'une finition impeccable, et qu'après tout, malgré cette rifferie accrocheuse, cette section rythmique bondissante et ces soli parfois totalement hard-rock à l'ancienne (sur l'un d'eux je pense furieusement à Slash), ça reste plus noir que beaucoup de trve machins qui se contentent de décliner Under A Funeral Moon à l'infini. Car en fait, V - Halmstad reste malgré tout utterly fuckin' grim. Je finirai en précisant que la cinquième piste est une interprétation de l'un des plus beaux airs à avoir jamais été créé par un mortel, à savoir la Sonate au Clair de Lune (et aussi l'un des plus utiles, puisque cette pièce nous permettait de récupérer l'Emblème Doré dans le premier Resident Evil !). Stay morbid !

nota bene 1 : pour les amateurs avides de ce type de black metal moderne, dépressif et urbain, les italiens de Forgotten Tomb œuvrent dans un créneau assez proche et suivent une évolution comparable vers un son certes plus mainstream, mais tout est relatif... Comment dire ? Des albums certes plus « grand public » mais ne s'adressant qu'à un « petit milieu ».

nota bene 2 : le sous-titre de l'album peut se traduire par « Nicolas à propos de Nicolas », confirmant l'aspect cathartique de la chose.

IV – The Eerie Cold was as good as it was all gloom-and-doom, with its bluesy parts coming from out of the… blue and thus adding an extra ugly "shining" to top it all. Well, Kvarforth and his merrymen have decided to trod that path again and to further things on V- Halmstad. To the already-known heavy rock, yet blackened riffaging, you’ll find in here jazzy and bluesy breaks without ever feeling an ounce of “hope” in that shithole of an album. Yeah, definitely, V – Halmstad is black metal with fuckin’ attitude. Fist edition comes with a random dead-and-stuffed pet.

V - Halmstad (Niklas ­angående Niklas) (Osmose, 2007)

01 Yttligare Ett Steg Närmare Total Jävla Utfrysning (Yet another step towards complete fuckin' desolation)
02 Längtar Bort Från Mitt Hjärta (Longing away from my heart)
03 Låt Oss Ta Allt Från Varandra (Let us take all from each other)
04 Besvikelsens Dystra Monotoni (The dismal monotony of disappointments)
05 Åttiosextusenfyrahundra (Eightysixthousandfourhundred)
06 Neka Morgondagen (Deny the day of tomorrow)

Le Myspace de Shining.

vendredi 1 juin 2007

Un nouveau suicide chez Mayhem...

...mais commercial, cette fois-ci. Âpre, rugueux, inconfortable, Ordo Ad Chao est en un mot comme en cent un album difficile. A tel point que le chroniquer sans tomber dans les lieux communs les plus éculés, faute de mieux, du genre « tellement méchant qu'il en est bon » ou « c'est dans la déconstruction primaire de sa structure anticosmique qu'Ordo Ad Chao touche au génie », se révèle encore plus ardu que d'habitude pour votre pauvre serviteur. Qui s'est donc donné le temps d'apprivoiser la bête avant de l'exécuter ou l'adouber sans la comprendre. Dont acte.

Impossible de ne pas commencer par le (re)commencement : Attila Csihar est de retour et sa performance extraordinaire (mots pesés) ne fera regretter Maniac à personne. Ses râles déclamatoires, insolites incantations intervenant tardivement dans chaque composition, sont peut-être la première raison de se procurer Ordo Ad Chao. Survolant l'album ou au contraire semblant surgir de par en-dessous des entrailles de la musique, sa prestation est proprement ahurissante... Ce timbre si étrange frappe à nouveau par sa particularité, qui est de paraître constamment « à côté », non pas lié à la trame instrumentale mais au contraire détaché au point d'offrir un second versant à l'album, pour qui ne se concentrerait que sur la partie vocale. Un sentiment ineffable, qu'il ne sert à rien d'essayer de décrire. Car il faut l'entendre, ce croque-mitaine hongrois : il est d'ailleurs toujours aussi amusant de constater à quel point la voix du black metal n'est pas black metal. N'en demeure pas moins que cette éructation tour à tour haineuse, accusatrice, douloureuse, plaintive, déglutie puis régurgitée tel un cancer mortifère que l'on éjecterait par la bouche, est bien la seule voix qui fasse encore peur dans le petit monde du black metal. Que voulez-vous, à l'heure où d'ignobles combo emocore US, après avoir pillé Carcass et At the Gates, adoptent des vocaux parfois plus harsh que ceux des grands noms de la seconde vague de black metal norvégien, il faut bien cultiver sa différence.

S'il n'y avait que la voix... Ordo Ad Chao est musicalement tout aussi ensorcelant et, il faut bien l'écrire, horrible, que vocalement. Encore une fois, difficile d'émettre une critique qualitative objective, tant l'album est finalement aussi raw qu'expérimental. Quant à le décrire... Ordo Ad Chao renverse la célèbre maxime ordo ab chao (l'une des deux devises maçonniques, mes bien chers frères) et se propose donc d'aller de l'ordre au chaos. Chose qu'il faut prendre aussi au pied de la lettre, après un Chimera un peu trop propret et l'intermède vaseux et vaguement raté qu'était Ava Inferi pour Rune Eriksen (Blasphemer). Compositeur en chef et chef-compositeur, ce dernier opère ici une déconstruction systématique et méthodique - donc sale et brouillonne - de tout l'album Ordo Ad Chao. Vous savez, celui que l'on attendait après Chimera... Comprenne qui pourra, pour moi la clé est ici. Bref, Mayhem n'est pas seulement « contre » (cf Anti), il casse, il défait, il conte la destruction et contre la construction. Ainsi, et même si en matière de son et d'exécution Ordo Ad Chao est l'antithèse absolue d'un Grand Declaration of War, il rejoint cependant son aîné sur ce point. Avec en prime, Attila Csihar oblige, le retour de cet esprit ancestral qui caractérisait De Mysteriis Dom Sathanas, cette saleté séculaire qui émerge à nouveau du sombre passé.

Expérimental - ce qu'a toujours été Mayhem, groupe qui tissait de complexes arpèges derrière d'étranges riffs à l'heure où le black metal s'écrivait pour longtemps encore sur une ou deux cordes en trémolo -, Ordo Ad Chao est aussi psychédélique, mais je parle d'un psychédélisme de cauchemar qui serait le négatif du sens habituellement placé dans ce mot. Absolument, volontairement immonde au niveau du son, magma assourdi semblant agrafé dans la rouille de prises brutes pas même mixées, Ordo Ad Chao adresse un gros majeur tendu à son auditeur lors des premières écoutes. C'est simple : comparé à la batterie de Hellhammer, on pourrait croire que le fabuleux son de Lars Ulrich sur St Anger est le produit d'une prise de tête def leppardienne. Voire. S'il faut un point de repère, et encore, peut-être oserais-je citer Wolf's Lair Abyss, et encore... Wolf's Lair Abyss avait un côté découpé que ne possède sciemment pas Ordo Ad Chao : ce n'est pas pour rien que je ne cite aucun titre en particulier, cela n'a aucun intérêt dans le cas présent. Pour vraiment enfoncer le clou - car le son est réellement choquant - il faut insister sur le fait qu'à côté de la production de ce disque, De Mysteriis Dom Sathanas est une superproduction, un album de blackened thrash hyper léché. Si.

Difficile de conclure de façon claire la chronique d'un tel monstre... Repoussant et hideux, Ordo Ad Chao n'en demeure pas moins un album paradoxalement esthétisant dans cette recherche du Laid. Ce nouveau rejeton de Mayhem, contrefait et tératologique, est au final assez proche dans sa démarche (et parfois même musicalement) d'un Monotheist - sans pour autant approcher le niveau d'excellence du dernier Celtic Frost, n'exagérons rien. Quel que soit son accueil - il jouit pour l'instant, semble-t-il, d'un consensus trop large pour être tout à fait honnête et objectif -, cet album restera à n'en point douter une pierre angulaire de la discographie des norvégiens. Au-delà du retour de celui qui demeure pour moi le vocaliste de Mayhem, son mérite premier, à l'heure de l'avènement commercial avéré de ce que j'appellerais le clean BM, est de nous rappeler ce qu'est le black metal à la base (et pas ce qu'il doit être) : un chaos sonore et anticonformiste. Ordo Ad Chao ne ressemblant à rien d'autre, ou si peu, c'est déjà gagné sur ce dernier point ! Suicide commercial et / ou réussite artistique, c'est en tout cas plus intéressant qu'une réussite commerciale (ce qu'il sera peut-être) ou qu'un suicide artistique (ce qu'il n'est pas). Celtic Frost, dont nous parlions plus haut, avait malheureusement réussi l'un tout en ratant l'autre en 1988. No fun. No mosh. No core.

There’s this word, "obdurate", that I like so much when it comes to dark, hermetic, fuck-off black metal. Well, it can’t even apply to Mayhem’s last excretion Ordo Ad Chao. This is total commercial suicide, and a ugly one, at that. And man, do I love it. To sum it up, Attila is back and it feels like Maniac never was here. I’m sorry ‘cause I  very much like Grand Declaration, but no one can compare to Attila – the bearded Hungarian boogyman delivers such an astounding performance... What he does here is mouth-expelling the most abominable, venomous words, in the most ugly way you can imagine. Fuck, this is a skin-crawling declamation, nothing less, screamed or muttered in utterly twisted ways. Musically speaking Ordo Ad Chao is the dirtiest, lo-fi motherfucker you can think of – and I’m not talkin’ ‘bout your average necro sound : this is how shall sound the most dreadful of tales, dealing about mankind’s fall while invoking the very same utter darkness that dwelt in De Mysteriis Dom Sathanas. This is head-on experimental extremism, this is a monumental fuck-off to the music industry (somewhat reminiscent, though not musically, to the move Ulver took with Nattens Madrigal, or Celtic Frost with Monotheist). No fun, no mosh, no core, just pure fuckin’ armaggedon.

Ordo Ad Chao (Season of Mist, 2007)

01 A Wise Birthgiver
02 Wall Of Water
03 Great Work Of Ages
04 Deconsecrate
05 Illuminate Eliminate
06 Psychic Horns
07 Key To The Storms
08 Anti


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