L'observateur non-initié aurait tôt fait de cataloguer Black Sabbath comme un grand groupe de heavy metal, mais rien de plus. Il participerait ainsi de cette formidable injustice que connaît le groupe depuis ses débuts - et entretenue depuis toujours par l'ignorante presse musicale généraliste. Heavy metal, Black Sabbath devra revenir une première fois d'entre les morts pour le devenir réellement : difficile de placer sous cette bannière galvaudée et restrictive le fabuleux Sabbath époque Osbourne - cette affiliation ne deviendra véritablement légitime qu'avec l'arrivée de Dio. C'est ainsi : la seconde face quasiment blues du premier album, les fréquents accents soul d'Ozzy et bien d'autres éléments constitutifs du Sab' originel passent trop souvent à la trappe, ne laissant voir qu'une caricature certes tutélaire et monumentale - mais tellement incomplète ! Accepter et colporter l'image clichesque et erronée que se coltine Black Sabbath, ce groupe si forcément monolithique, ténébreux et satanique, c'est plus qu'un arrangement avec la Réalité (dont le Maître, pour le coup, semble absent) : c'est une erreur factuelle énorme.
Et ce serait notamment passer par pertes et profits l'autre facette du groupe, occupant parfois la quasi-moitié des sept premiers albums ! Sleeping Village, Planet Caravan, Electric Funeral, Embryo, Orchid, Solitude, Laguna Sunrise, A National Acrobat, Fluff, Spiral Architect... Autant de noms exhalant une poésie étrange, tant morbide que psychédélique : après tout Black Sabbath s'est construit en détournant le flower power de l'époque pour en faire son horror power. Des morceaux composant une part essentielle de son répertoire et qui cachent cet autre visage : une veine acoustique classisante, folk ou médiévale et au mieux sous-estimée, sinon totalement méconnue.
On sait pourtant combien aura compté un Planet Caravan (en particulier sur le marché américain : à écouter, la chouette version de Pantera). On subodore qu'Orchid a traumatisée des wagons entiers de doomsters atmosphériques - au point que certains des plus célèbres ont nommé ainsi un de leurs albums. Enfin, on croirait presque qu'un Cathedral concocte le nom de ses chansons à partir d'un générateur automatique intégrant les mots cosmic, voyage, funeral, caravan, wizard ou electric... Une anecdote sur Solitude, délicat sommet de Master of Reality : au-delà de sa beauté feutrée, son aura mystérieuse reste entière puisque Iommi semble décidé à ne jamais révéler sa vérité... Cette complainte ouatée, chantée tellement « juste » et donc si loin des charmantes approximations dont Ozzy pouvait avoir le secret, serait l'œuvre vocale non créditée d'un Bill Ward (et ce ne serait pas la seule). Quant à Who Are You, l'un des morceaux les plus étranges d'un Iommi tributaire des inclinaisons prog de l'époque, il risque de donner une syncope aux nostalgiques des Mystérieuses Cités d'Or : choc assuré !
L'esprit original de Black Sabbath, fragile symptôme de l'univers, s'en est allé après Technical Ecstasy (si ce n'est après Sabbath Bloody Sabbath) : ce n'est pas un avis, c'est un fait. Les anglais ne sauront jamais se dépêtrer d'une légende souvent ternie, et demeurent à mon avis le groupe le plus handicapé par son propre legs (talonné par Metallica). Et bien que grand amateur de la période Dio / Martin, voire même ne craignant pas le mouton noir Born Again injustement crucifié par ceux qui ne l'ont pas écouté, je dois reconnaître que l'erreur fatale fut de ne pas avoir changé de nom après Never Say Die - quel ironie dans ce titre... L'époque Ozzy reste un parcours unique et forcément inscrit dans les seventies, plus directement influente encore que ce que l'on croit (que tous ceux qui sont marqués par la première partie de For Whom The Bell Tolls écoutent la conclusion de Fairies Wear Boots), mais trop souvent amputée de son autre visage. Acoustique et intimiste, volontiers instrumental sans être prise de tête (un écueil que les racines éminemment prolo du Sab' lui éviteront toujours), il est pourtant aussi important qualitativement que quantitativement. Et quand on omet la moitié de Black Sabbath, ça donne black : trop facile de ne retenir que le noir de cette histoire !
You just can’t limit Black Sabbath to its heavier and doomier side – you just can’t do it, it would not be fair. See, there was always something else behind this classic act’s ineffable darkness. Sadly, something often overlooked by medias and listeners. To begin with, you just can’t classify the ‘Sab as a strictly heavy metal band up until Dio’s arrival – don’t you remember the bluesy B side and soulful vocal performances on the band’s stunning first album ? No, there’s really more than meet the eyes in there. Granted, with the ‘Sab, flower power became horror power – but don't overlook its acoustic, psychedelic, sometimes classical stuff that has been at the heart of the band since (after) forever. Man, just listen to thin juggernauts such as Orchid, Solitude, Sleeping Village or Laguna Sunrise – ya just can’t always think “Iron Man” or “Paranoid” when the “sabbath mater” is brought on the turntable. I would even go as far as saying that the, well, “lighter” side of the ‘Sab was as important and groundbreaking as its heavier face… Sure, the original Black Sabbath spirit was nothing but a frail symptom of the universe, and it did fade away following Technical Ecstasy. Yet this band deserves all the credit it still gets, and more, and it’s a shame its softer side isn’t known enough. That's all, folks.
Le site de Black Sabbath.
...et toujours : Nature Morte